Rapport 2025 de Stanford HAI sur l'IA
- Damien SOULÉ
- il y a 6 jours
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 2 jours
Performances techniques, impacts économiques et enjeux sociétaux : Analyse des tendances clés qui façonnent notre avenir

L'intelligence artificielle façonne activement notre présent et dessine les contours de notre avenir. Pour naviguer cette transformation, il est essentiel de comprendre ses dynamiques profondes.
Le rapport annuel Artificial Intelligence Index Report 2025, publié par Stanford Institute for Human-Centered Artificial Intelligence (HAI), constitue une référence. Dans sa huitième et plus complète édition, il dissèque l'état de l'IA à travers le monde.
Les 12 points saillants du rapport 2025 de Stanford HAI
Le rapport AI Index 2025 de Stanford HAI, par son ampleur et sa profondeur, offre une photographie détaillée d'un domaine technologique en constante évolution. Pour en saisir l'essence et en faciliter la compréhension, les chercheurs ont synthétisé leurs analyses en douze conclusions majeures.
Ces 12 Top Takeaways constituent une boussole indispensable pour appréhender les dynamiques actuelles de l'intelligence artificielle, de ses prouesses techniques à son intégration sociétale et économique. Examinons ces douze tendances clés qui définissent l'état de l'IA aujourd'hui.
1) Les performances de l'IA continuent de s'améliorer sur les benchmarks exigeants
L'intelligence artificielle ne se contente plus de maîtriser les tests existants ; elle pousse la communauté scientifique à concevoir des évaluations toujours plus ardues pour mesurer ses capacités croissantes.
En 2023, de nouveaux benchmarks particulièrement exigeants, tels que MMMU (pour la compréhension multimodale multidisciplinaire), GPQA (questions/réponses de niveau doctorat résistant à la recherche Google) et SWE-bench (résolution de problèmes de génie logiciel concrets), ont été introduits pour sonder les limites des systèmes d'IA les plus avancés.
Un an à peine après leur introduction, les performances sur ces tests ont connu une amélioration spectaculaire. Les scores ont bondi de 18,8 points de pourcentage sur MMMU, de 48,9 points sur GPQA, et de manière encore plus frappante, de 67,3 points sur SWE-bench. Sur ce dernier, axé sur le codage, la capacité des IA à résoudre les problèmes est passée de 4,4 % en 2023 à 71,7 % en 2024.
Au-delà de ces benchmarks standardisés, les systèmes d'IA ont également réalisé des avancées majeures dans la génération de vidéos de haute qualité et, dans certains contextes spécifiques de programmation avec des contraintes de temps, des agents basés sur des modèles de langage ont même surpassé les performances humaines. Cette capacité à maîtriser rapidement de nouveaux défis complexes souligne l'accélération continue des progrès en IA.
2) L'IA s'intègre de plus en plus dans la vie quotidienne
L'intelligence artificielle n'est plus confinée aux laboratoires de recherche ; elle s'infuse rapidement dans notre quotidien. Cette transition est particulièrement visible dans le domaine médical : la Food and Drug Administration (FDA) américaine a approuvé 223 dispositifs médicaux intégrant l'IA en 2023, une augmentation spectaculaire comparée aux seulement six approbations enregistrées en 2015.
Dans le secteur des transports, les véhicules autonomes ne relèvent plus de l'expérimentation. Waymo, l'un des principaux opérateurs aux États-Unis, effectue plus de 150 000 trajets autonomes chaque semaine.
En Chine, la flotte de robotaxis abordables Apollo Go de Baidu dessert désormais de nombreuses villes à travers le pays. Ces exemples concrets illustrent comment l'IA quitte le domaine théorique pour devenir une composante fonctionnelle et de plus en plus présente de notre environnement journalier.
3) Les entreprises s'engagent pleinement dans l'IA
Le monde des affaires manifeste un engagement sans équivoque envers l'intelligence artificielle, ce qui se traduit par des niveaux d'investissement et d'utilisation sans précédent. En 2024, l'investissement privé américain dans l'IA a atteint la somme colossale de 109,1 milliards de dollars, éclipsant largement les investissements chinois (9,3 milliards) et britanniques (4,5 milliards). L'IA générative, en particulier, a bénéficié d'une dynamique très forte, attirant 33,9 milliards de dollars d'investissements privés à l'échelle mondiale, soit une augmentation de 18,7 % par rapport à 2023.
Parallèlement, l'adoption de l'IA par les entreprises s'accélère :
78 % des organisations interrogées déclarent utiliser l'IA en 2024, contre 55 % l'année précédente.
L'usage spécifique de l'IA générative dans au moins une fonction de l'entreprise a plus que doublé, passant de 33 % en 2023 à 71 % en 2024.
Cette adoption massive est soutenue par un corpus croissant de recherches qui confirment l'impact positif de l'IA sur la productivité. Ces études indiquent également que, dans la plupart des cas, l'IA contribue à réduire les écarts de compétences au sein de la main-d'œuvre.
4) Les USA mènent toujours la production de modèles d'IA de pointe, mais la Chine réduit l'écart
La géopolitique de l'intelligence artificielle continue d'évoluer. Si les États-Unis conservent leur avance en termes de nombre de modèles d'IA notables produits, la Chine comble rapidement l'écart sur le plan qualitatif. En 2024, les institutions basées aux États-Unis ont produit 40 modèles d'IA considérés comme marquants, un chiffre nettement supérieur aux 15 modèles chinois et aux 3 modèles européens combinés. Cette avance quantitative américaine s'inscrit dans une tendance observée sur la dernière décennie.
Cependant, cette domination quantitative est nuancée par une convergence rapide des performances. Les modèles chinois ont considérablement amélioré leur qualité : les différences de performance sur des benchmarks majeurs comme MMLU et HumanEval, qui étaient de l'ordre de deux chiffres en 2023, se sont réduites jusqu'à atteindre une quasi-parité en 2024.
Par ailleurs, la Chine continue de dominer en volume de publications scientifiques et de brevets liés à l'IA. Le développement de modèles devient également de plus en plus globalisé, avec des lancements notables au Moyen-Orient, en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, indiquant une diversification croissante des acteurs dans l'écosystème mondial de l'IA.
5) L'écosystème de l'IA responsable évolue de manière inégale
Le développement d'une intelligence artificielle responsable progresse, mais de façon disparate. D'une part, les incidents liés à l'utilisation ou au dysfonctionnement de l'IA sont en forte augmentation, atteignant un record en 2024. D'autre part, l'évaluation standardisée des aspects liés à la responsabilité (sécurité, équité, transparence) reste une pratique peu courante parmi les principaux développeurs industriels de modèles d'IA.
Bien que des efforts soient faits pour combler ce manque, notamment avec l'émergence de nouveaux bancs d'essai comme HELM Safety, AIR-Bench et FACTS qui offrent des outils prometteurs pour évaluer la factualité et la sécurité, un décalage persiste au niveau des entreprises. Beaucoup reconnaissent les risques liés à l'IA mais peinent à mettre en œuvre des mesures d'atténuation concrètes.
En contraste avec cette situation mitigée dans le secteur privé, les gouvernements affichent une urgence accrue. L'année 2024 a été marquée par une intensification de la coopération mondiale sur la gouvernance de l'IA. Des organisations internationales majeures, telles que l'OCDE, l'Union Européenne, les Nations Unies et l'Union Africaine, ont publié des cadres visant à établir des principes fondamentaux pour une IA responsable, mettant l'accent sur la transparence, la fiabilité et l'équité.
6) L'optimisme mondial envers l'IA augmente mais avec de profondes divisions régionales
L'opinion publique mondiale à l'égard de l'intelligence artificielle évolue vers un optimisme prudent, bien que des disparités régionales significatives subsistent. Dans de nombreux pays, notamment en Asie et dans les marchés émergents, une large majorité de la population perçoit les produits et services basés sur l'IA comme étant plus bénéfiques que nuisibles. C'est le cas en Chine (83 %), en Indonésie (80 %) et en Thaïlande (77 %).
En revanche, l'optimisme demeure nettement plus mesuré dans d'autres régions, particulièrement en Amérique du Nord et en Europe. Au Canada (40 %), aux États-Unis (39 %) et aux Pays-Bas (36 %), seule une minorité partage ce point de vue positif. Cependant, une tendance notable se dessine : même dans les pays historiquement plus sceptiques, le sentiment évolue favorablement.
Depuis 2022, l'optimisme a enregistré une croissance significative dans plusieurs de ces nations, dont l'Allemagne (+10 points de pourcentage), la France (+10 points), le Canada (+8 points), la Grande-Bretagne (+8 points) et les États-Unis (+4 points). Cette évolution suggère une acceptation croissante du potentiel bénéfique de l'IA à l'échelle mondiale, malgré les différences culturelles et régionales persistantes.
7) L'IA devient plus efficace, abordable et accessible
Plusieurs facteurs convergent pour démocratiser l'accès à l'intelligence artificielle avancée. L'émergence de modèles plus petits mais étonnamment capables joue un rôle clé dans la réduction des coûts. Par exemple, le coût d'inférence (le coût pour interroger un modèle entraîné) pour obtenir un niveau de performance équivalent à GPT-3.5 sur le benchmark MMLU a chuté de façon spectaculaire : il est passé de 20,00 $ par million de tokens en novembre 2022 à seulement 0,07 $ en octobre 2024, soit une réduction de plus de 280 fois en environ 18 mois. Selon la tâche, les prix de l'inférence des grands modèles de langage ont diminué de 9 à 900 fois par an.
Cette tendance est également soutenue par les progrès matériels. Le coût du matériel d'apprentissage automatique diminue d'environ 30 % par an, tandis que son efficacité énergétique s'améliore de 40 % chaque année. De plus, les modèles dits "ouverts" (open-weight), dont les poids sont publiquement accessibles, comblent rapidement l'écart de performance avec les modèles propriétaires "fermés".
Sur certains benchmarks, la différence de performance est passée de 8 % à seulement 1,7 % en une seule année. Ensemble, ces évolutions abaissent significativement les barrières à l'entrée pour utiliser et développer des systèmes d'IA performants.
8) Les gouvernements intensifient leur action sur l'IA par la réglementation et l'investissement
L'année 2024 a été marquée par une mobilisation accrue des pouvoirs publics mondiaux face à l'essor de l'intelligence artificielle, se manifestant sur deux fronts principaux : la réglementation et l'investissement.
Sur le plan réglementaire, l'activité législative et normative s'est intensifiée. Aux États-Unis, par exemple, les agences fédérales ont introduit 59 régulations liées à l'IA en 2024, soit plus du double de l'année précédente, impliquant également deux fois plus d'agences différentes. À l'échelle mondiale, les mentions de l'IA dans les débats législatifs de 75 pays ont augmenté de 21,3 % par rapport à 2023, représentant une multiplication par neuf depuis 2016.
Parallèlement à cet encadrement normatif croissant, les gouvernements débloquent des fonds considérables pour soutenir le développement et l'infrastructure de l'IA. Plusieurs annonces majeures ont été faites : le Canada a engagé 2,4 milliards de dollars canadiens, la Chine a lancé un fonds de 47,5 milliards de dollars pour les semi-conducteurs, la France a annoncé un engagement de 109 milliards d'euros, l'Inde a promis 1,25 milliard de dollars, et l'Arabie Saoudite a dévoilé le "Project Transcendence", une initiative représentant 100 milliards de dollars.
Ces actions concertées témoignent de la prise de conscience par les États de l'importance stratégique de l'IA et de la nécessité d'en maîtriser le développement tout en stimulant leur propre écosystème.
9) L'éducation à l'IA et à l'informatique se développe mais des lacunes d'accès et de préparation persistent
L'importance de former les futures générations aux technologies de l'IA et à l'informatique est de plus en plus reconnue mondialement, mais cette expansion se heurte à des défis persistants.
Sur le plan positif, environ deux tiers des pays offrent désormais ou prévoient d'offrir un enseignement de l'informatique du primaire au secondaire, un chiffre qui a doublé depuis 2019, avec des progrès particulièrement notables en Afrique et en Amérique latine. Aux États-Unis, le nombre de diplômés en licence d'informatique a augmenté de 22 % au cours des dix dernières années, et le nombre de diplômés en master d'IA a presque doublé rien qu'entre 2022 et 2023.
Cependant, des lacunes importantes subsistent. L'accès à cet enseignement reste limité dans de nombreux pays africains, souvent en raison de problèmes d'infrastructures de base comme le manque d'électricité dans les écoles. Aux États-Unis, un autre défi concerne la préparation des enseignants : alors que 81 % des professeurs d'informatique estiment que l'IA devrait faire partie de l'enseignement fondamental de l'informatique, moins de la moitié d'entre eux se sentent réellement équipés pour l'enseigner efficacement.
Ces écarts soulignent la nécessité d'efforts continus pour garantir un accès équitable et une formation adéquate des éducateurs afin de préparer les élèves à l'ère de l'IA.
10) L'industrie mène la course à l'IA mais la compétition à la frontière technologique s'intensifie
Le secteur privé continue d'être le moteur principal du développement des modèles d'IA les plus avancés, mais le paysage concurrentiel au sommet devient de plus en plus dense. En 2024, près de 90 % des modèles d'IA considérés comme notables provenaient de l'industrie, une augmentation significative par rapport aux 60 % de 2023. En parallèle, le monde universitaire demeure la source principale des recherches les plus citées et influentes dans le domaine.
La course à la performance pousse l'industrie à continuer d'investir massivement dans l'échelle des modèles : la puissance de calcul nécessaire à l'entraînement double environ tous les cinq mois, la taille des jeux de données tous les huit mois, et la consommation énergétique augmente annuellement. Cependant, malgré cette course à l'échelle, les écarts de performance entre les meilleurs modèles se réduisent.
L'indice Elo, qui mesure l'habileté relative des modèles sur la plateforme Chatbot Arena, montre que la différence entre le modèle classé premier et le dixième est passée de 11,9 % à 5,4 % en un an. L'écart entre les deux meilleurs modèles est désormais infime, à seulement 0,7 %. Cette convergence indique que la frontière technologique de l'IA est de plus en plus compétitive et peuplée par un nombre croissant d'acteurs très performants.
11) L'IA reçoit les plus hautes distinctions pour son impact scientifique
L'importance croissante de l'intelligence artificielle dans le progrès scientifique a été consacrée en 2024 par l'attribution de plusieurs récompenses parmi les plus prestigieuses au monde. Cette reconnaissance au plus haut niveau témoigne de l'impact transformateur de l'IA sur la recherche fondamentale et appliquée.
Notamment, deux Prix Nobel ont récompensé des travaux directement liés à l'IA : le Prix Nobel de Physique a été attribué pour des contributions fondamentales aux réseaux neuronaux qui ont ouvert la voie au Deep Learning, tandis que le Prix Nobel de Chimie a salué l'application révolutionnaire de ces techniques au repliement des protéines avec AlphaFold.
Parallèlement, le Prix Turing, souvent considéré comme le "Nobel de l'informatique", a honoré des contributions pionnières dans le domaine de l'apprentissage par renforcement. Ces distinctions soulignent le rôle désormais central de l'IA comme outil et sujet de découvertes scientifiques majeures.
12) Le raisonnement complexe demeure un défi
Malgré des avancées impressionnantes dans de nombreux domaines, le raisonnement véritablement complexe reste une frontière difficile à franchir pour l'intelligence artificielle actuelle. Les modèles d'IA peuvent exceller dans des tâches spécifiques, même très complexes, comme la résolution de problèmes de niveau Olympiades Internationales de Mathématiques.
Cependant, ils montrent encore des faiblesses notables lorsqu'il s'agit de benchmarks évaluant des capacités de raisonnement plus profondes et générales, à l'image de PlanBench qui teste la planification.
Plus précisément, les systèmes d'IA, y compris les grands modèles de langage (LLM), peinent encore à résoudre de manière fiable des problèmes pour lesquels des solutions logiquement correctes existent et peuvent être prouvées, comme l'arithmétique ou la planification, surtout lorsque les instances dépassent la taille de celles rencontrées lors de l'entraînement.
Cette incapacité à garantir la correction logique limite considérablement la confiance que l'on peut accorder à ces systèmes et leur adéquation pour des applications critiques ou à haut risque où la précision et la fiabilité sont primordiales.
Conclusion
Les douze points clés du rapport AI Index 2025 dessinent une trajectoire claire : l'intelligence artificielle avance à grands pas, portée par des investissements massifs et une adoption croissante, tout en générant des bénéfices tangibles en science et en productivité.
Cependant, cette progression rapide s'accompagne de défis importants en matière d'éthique, de sécurité, de gouvernance et d'équité. L'avenir de l'IA dépendra de notre capacité collective à naviguer cette complexité, en encourageant l'innovation tout en développant des cadres réglementaires et éthiques solides pour assurer un développement responsable et bénéfique pour tous. Le rapport complet de Stanford HAI offre une lecture essentielle pour approfondir ces enjeux déterminants.
Référence
Maslej, N., Fattorini, L., Perrault, R., Gil, Y., Parli, V., Kariuki, N., Capstick, E., Reuel, A., Brynjolfsson, E., Etchemendy, J., Ligett, K., Lyons, T., Manyika, J., Niebles, J. C., Shoham, Y., Wald, R., Walsh, T., Hamrah, A., Santarlasci, L., … Oak, S. (2025). The AI Index 2025 Annual Report. AI Index Steering Committee, Institute for Human-Centered AI, Stanford University.
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Article de blog rédigé par Damien SOULÉ.
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